Sommaire :

1 - Objet de l’étude et historique d’un long combat.

2 - Méthodologie.

3 - Résultats nationaux.

4 - Résultats de l’Hérault.

5 - Une fracture qui va s’aggraver.

6 - Les demandes de l’UFC Que Choisir.

 
1 - Objet de l’étude et historique d’un long combat.

En 2012, l’UFC–Que Choisir avait publié un état des lieux inédit de l’accès aux soins en France qui mettait en lumière l’inquiétante fracture sanitaire. Aux déserts médicaux géographiques s’ajoutent les dépassements d’honoraires qui freinent l’accès aux médecins. Quatre ans plus tard, en 2016 alors que des négociations entre l’Assurance maladie et les syndicats de médecins étaient en cours, l’association a rendu publique une nouvelle étude sur cette situation. Selon nos calculs, l'accès géographique ou financier à un médecin généraliste, un gynécologue, un ophtalmologue ou un pédiatre en 2016 s’était dégradé pour plus de trente millions d’usagers par rapport à 2012.

Plus récemment, en 2019, les associations locales de l’UFC-Que Choisir ont mené une enquête auprès de médecins généralistes. Elle a démontré que près de 1 médecin traitant sur 2 refusait désormais les nouveaux patients et que la situation la plus dégradée touchait les villes moyennes (10 000 à 100 000 habitants). Face à ce constat alarmant, les pouvoirs publics ont pris des mesures inefficaces et très coûteuses comme les politiques d’incitation financière accordées aux médecins pour les convaincre de s’installer dans les zones sous-dotée. L’actualisation de notre carte interactive en 2022 souligne que c’est un échec criant !

L’approche de l’UFC-Que Choisir sur la fracture sanitaire combine à la fois l’accès géographique (manque de médecins conduisant à des déserts médicaux) et l’accès financier (manque d’accès aux praticiens respectant le tarif conventionné de la Sécurité sociale). Cette question des dépassements d’honoraires est importante puisqu’ils peuvent entraîner un renoncement aux soins. Comme en 2012 et 2016 en prenant en compte ces deux dimensions, nous avons étudié conjointement la localisation et les prix pratiqués par les généralistes et par trois types de spécialistes qui peuvent être consultés directement sans passer par un médecin traitant :  ophtalmologues, pédiatres et gynécologues.

 
2 - Méthodologie.

Pour les 4 spécialités, et pour toutes les communes, nous avons calculé l’offre de soins disponible, en retenant un temps de trajet maximal entre le domicile et le cabinet du médecin de 30 minutes pour les généralistes, et de 45 minutes pour les spécialistes. Pour chaque commune nous croisons la demande potentielle en soins des personnes y résidant (établie en fonction de besoins évoluant selon l’âge ou le sexe) et l’offre de médecine de ville, pour établir un indicateur permettant de mesurer l’accessibilité potentielle localisée (APL). Pour les pédiatres on prend en compte le nombre d’enfants de moins de 10 ans, pour les gynécologues le nombre de femmes de plus de 15 ans et pour les généralistes et les ophtalmologues tous les habitants en pondérant suivant leur âge puisqu’une proportion plus importante de personnes âgées se traduira par une demande plus élevée de soins.

Enfin nous avons relevé sur une base de données provenant de l’Assurance Maladie les tarifs pratiqués par les médecins de juillet 2021 à juin 2022.

A partir de ces données, pour mesurer la fracture sanitaire nous avons calculé trois indicateurs d’accessibilité :

  • Le premier mesure uniquement l’accès géographique. Il inclut tous les praticiens de chaque profession, ne tenant donc pas compte des prix qu’ils pratiquent ;
  • Le deuxième identifie l’accès géographique et financier avec des dépassements d’honoraires « modérés ». Il se limite aux praticiens fixant en moyenne un prix ne dépassant pas de plus de 50 % le tarif de la Sécurité sociale, soit le taux moyen de prise en charge par les complémentaires santé ;
  • Finalement, le dernier indicateur mesure l’accès géographique et financier sans dépassements d’honoraires. Il propose de ne tenir compte que de l’offre des praticiens dont les consultations respectent le tarif de la Sécurité sociale (secteur 1). Il s’agit du plus strict. En effet, il part du postulat que les patients peuvent chercher à se limiter strictement aux praticiens ne pratiquant pas de dépassements d’honoraires.

Une fois les indicateurs calculés pour chacune des quatre professions, nous avons classé les communes selon leur situation en comparaison avec la moyenne nationale. Ainsi, nous avons établi la classification suivante :

Il faut donc noter que cette approche par comparaison ne signifie pas que les habitants des zones où l’offre est supérieure à la moyenne n’ont pas également des problèmes pour accéder à la médecine de ville.

 
3 - Résultats nationaux.

Avant d’examiner les résultats de l’Hérault, les tableaux ci-dessous résument les résultats nationaux. Pour plus de détails et notamment les cartes nationales consultez l’étude sur le site quechoisir.org. Si on retient la part des personnes présentant des difficultés d’accès géographique à un médecin on obtient le tableau suivant. Par exemple pour les ophtalmologues 19% des personnes (soit 12.3 millions de personnes) sont dans un désert médical et 19.3 % ( soit 12,6 millions de personnes) ont un accès difficile soit en tout 38.3% ou 24.9 millions de personnes. La situation est « moins dramatique » pour les généralistes et l’est beaucoup plus pour les pédiatres ou les gynécologues.

Si maintenant on prend en compte la dimension financière en tenant compte des médecins pratiquant ou non des dépassements d’honoraires suivant deux critères : en ne retenant que ceux pratiquant au plus 50% de dépassements d’honoraires ou en ne retenant que ceux ne pratiquant aucun dépassement d’honoraires on obtient le tableau suivant pour les généralistes.

 

Par rapport au seul critère géographique les difficultés d’accès (désert médical + accès difficile) augmentent de 2,6% si on accepte 50% de dépassement et de 5,8% si on n’accepte aucun dépassement. C’est relativement peu et c’est lié au fait que la proportion de généralistes pratiquant des dépassements d’honoraires est finalement faible. Par contre pour les trois spécialités étudiées les résultats sont très différents comme le montrent les trois tableaux suivants.

 

En résumé 84,7% de personnes ont des difficultés d’accès à des ophtalmologues ne pratiquant pas de dépassement d’honoraires, 76,3% des enfants à des pédiatres et 85,8 % des femmes de plus de 15 ans à des gynécologues. Pour ces trois spécialités la dimension financière accroit considérablement la fracture sanitaire, ce qui peut se traduire par des renoncements aux soins pour les personnes disposant de faibles ressources ou de mauvaises complémentaires santé pour la prise en charge de dépassements.

 
4 - Résultats de l’Hérault.

Les tableaux ci-dessous et les cartes qui les accompagnent présentent les résultats pour le département de l’Hérault. De manière générale que ce soit pour les généralistes ou les trois spécialités étudiées les résultats de l’Hérault sont meilleurs que la moyenne nationale. C’est dû au poids de la Métropole de Montpellier et du littoral (Béziers, Sète) qui représente plus de 70% de la population du département et qui est mieux doté que la moyenne. Par contre ce « bon résultat » moyen pour le département cache des disparités importantes au sein du département entre le littoral et l’arrière-pays. Rappelons enfin que les zones « mieux dotées » ne le sont que par rapport à une moyenne nationale et que cela ne veut pas dire que les habitants de ces zones ne rencontrant pas aussi des difficultés d’accès aux soins.

 

 

Examinons maintenant les cartes de la fracture sanitaire pour le département de l’Hérault avec pour chaque type de médecins trois cartes :

  • Celle de l’accès aux soins avec tous les tarifs ;
  • Celle avec les dépassements d’honoraires limités à 50% ;
  • Celle sans dépassements d’honoraires.

4.1 - Généralistes.

On observe peu de différences entre les trois cartes car peu de généralistes pratiquent des dépassements d’honoraires. On passe néanmoins de 0.8% d’héraultais en situation de désert médical tous tarifs confondus à 2.6% si on exclut tous les généralistes pratiquant des dépassements. On constate aussi une différence entre l’arrière-pays où sont localisés les déserts médicaux et le littoral beaucoup mieux doté.

4.2 – Pédiatres.

4.3 – Gynécologues

4.4 – Ophtalmologues

Plusieurs éléments ressortent de l‘examen de ces trois cartes :

  • A la différence des généralistes, la fracture sanitaire s’aggrave nettement quand on prend en compte les dépassements d’honoraires. C’est ainsi qu’on passe dans le cas des pédiatres de 8.2% des habitants en désert médical tous médecins confondus à 13.8% si on ne garde que ceux sans dépassement d’honoraires, de 4.1% à 33,7% pour les ophtalmologues et de 16.5% à 59.2% pour les gynécologues. Résultat similaire à celui au niveau national qui est lié à la pratique très répandue des dépassements d’honoraires chez les spécialistes.
  • Au sein du département la fracture géographique entre le littoral et les grandes villes et l’arrière-pays (mais aussi certaines zones du littoral) est particulièrement renforcée.
  • Certaines zones de l’arrière-pays semblent parfois « épargnées » mais c’est lié à des contextes locaux fragiles : ex : la région de Ganges pour les gynécologues qui risque d’évoluer avec la fermeture de la maternité de la clinique ou la région de Lamalou les Bains.
 
5 – Une fracture qui va s’aggraver.

Le creusement impressionnant de la fracture sanitaire pour l’ophtalmologie, la pédiatrie et la gynécologie dès lors qu’on prend en compte la dimension financière de l’accès aux médecins est une traduction concrète et immédiate de la pratique des dépassements d’honoraires extrêmement répandue chez les spécialistes, et en progression comme le montre le tableau ci-dessous.

Cette progression est due à l’installation des nouveaux médecins en secteur 2, y compris dans des zones mieux dotées. 85% des gynécologues et 85% des ophtalmologues qui se sont installés entre 2011 et 2014 l’ont fait en secteur 2. Résultat : un accès aux soins plus couteux, des risques de renoncement aux soins pour les plus défavorisés. Certes les dépassements d’honoraires peuvent être pris en charge par une bonne complémentaire santé mais leur croissance se traduit par celle du coût des cotisations. Selon l’INSEE, leurs tarifs ont en effet augmenté de 62,3 % entre janvier 2002 et juin 2022, contre 34,9 % pour l’ensemble des prix à la consommation hors tabac sur la même période.

Les dépassements d’honoraires ont atteint 3,5 milliards d’euros en 2021, soit le montant annuel le plus élevé jamais enregistré. Cette situation marque l’échec de certaines mesures mises en place par les pouvoirs publics comme l’OPTAM (Option de pratique tarifaire maîtrisée) qui avait vocation à limiter les dépassements.

Dans le contexte de pénurie de médecins, les gouvernements successifs ont instauré des politiques d’incitation à l’installation pour tenter de réduire la fracture sanitaire. Régulièrement réformées, les mesures incitatives ont toutes montré leurs limites. L’Assurance maladie a établi le coût de ces mesures à 94 M€ sur la période de 2017 à 2020, tout en concluant à leur inefficacité face à la dégradation de l’offre de soins.

Quant aux années à venir il ne faut pas se leurrer : du fait des délais de formation (dix ans) et du vieillissement démographique des médecins, les effectifs de praticiens sont amenés à être durablement insuffisants, comme le montrent les prévisions de la Drees reproduites ci-dessous.

Suivant ces projections le nombre de médecins devrait rester stable (voire baisser pour les généralistes) dans les 10 ans à venir.  Mais si on tient compte de l’augmentation de la population (courbe densité) et de la croissance de la demande de soins compte tenu du vieillissement de la population (courbe standardisée) la situation va s’aggraver dans les années à venir jusqu’en 2030. De plus les départements les moins bien dotés sont aussi ceux où la moyenne d’âge des médecins est la plus élevée. Les zones défavorisées le seront donc encore plus et la fracture s’élargira sauf changement radical de politique de régulation de l’installation.

Un consensus semble se dessiner pour la remise en cause de la liberté d’installation des médecins malgré les réticences de ces derniers. La Cour des comptes a pointé « l’absence de volonté politique » pour affronter cette situation catastrophique, qualifiant les mesures d’incitation d’inefficaces et préconise de réguler l’installation des médecins, sur le modèle de pays voisins tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni ou les Pays Bas. La direction du Trésor au Ministère des Finances préconise d’adapter la liberté d’installation à court terme pour gérer la pénurie de médecins libéraux afin de cibler les zones les plus sous-dotées. Enfin la question des déserts médicaux revient régulièrement au sein du Parlement.  Lors de la législature précédente (2017-2022), pas moins de 18 propositions de loi avaient été déposées à l’Assemblée à ce sujet, et 7 au Sénat ! En novembre 2021, une quarantaine de députés ont notamment proposé un conventionnement sélectif, conditionnant les installations des médecins en zones sur-dotées. Ce conventionnement fonctionne déjà pour certaines professions médicales libérales (sage-femmes, infirmières, kinésithérapeutes...) et a fait la preuve de son efficacité pour une répartition plus harmonieuse de l’offre de soins. Il manque pour l’instant une volonté politique pour l’appliquer aux médecins !

 
6 – Les demandes de l’UFC Que Choisir.

Notre étude a montré qu’une proportion alarmante des patients a difficilement accès aux consultations de praticiens libéraux, et conclut que cette situation doit cesser au plus vite. Face à l’échec criant des coûteuses mesures d’incitations passées, les pouvoirs publics doivent de toute urgence changer de logique, en régulant l’installation des médecins libéraux et en mettant fin à la fièvre des dépassements d’honoraires.

C’est pourquoi l’UFC-Que Choisir demande :
  • L’instauration d’un conventionnement territorial des médecins, ne leur permettant plus de s’installer en zones sur-dotées, à l’exception du secteur 1 (tarif de la Sécurité sociale) quand la situation l’exige (remplacement d’un médecin partant à la retraite ou zone très largement sous-dotée en médecins en secteur 1) ;
  • La fermeture de l’accès au secteur 2 (à honoraires libres) à l’origine du développement incontrôlé des dépassements d’honoraires. Les nouveaux médecins ne devraient avoir le choix qu’entre un secteur 1 aux honoraires sans dépassements et l’Option de pratique tarifaire maîtrisée (OPTAM), qui encadre les dépassements d’honoraires ;
  • La suppression des aides publiques aux médecins ne respectant pas le tarif de la Sécurité sociale, hors OPTAM.